Les médecins catalans constituent le groupe professionel qui a tenu le rôle le plus important dans l'introduction et la diffusion du daguerréotipe en Catalogne. Au long du XIXème siècle, ils se sont tenus au courant des applications scientifiques en photographie, et ils ont essayé de l'introduire dans les hôpitaux de façon presque simultanée à leurs collègues français, pionniers en la matière. Cependant, des problèmes d'ordre bureaucratique, religeux, académique et politique empecherènt ces essais de fructifier.
A partir de 1875, nous avons la certitude que des photographies étaient prises à l'Hôpital de la Santa Cruz de Barcelone. La source documentaire qui le prouve se trouve dans l'Archive Général de l'Hôpital de la Santa Cruz y San Pablo; dans le dossier Sur la Photographie (1874-1879), dans lequel se conserve la plupart de la documentation que nous avons utilisée pour ce travail.
Les pionniers de la Photographie médicale à l'Hôpital de la Santa Cruz ont eu, d'après ce que nous savons, davantage de difficultés d'ordre bureaucratique que technique. La raison principale en fut l attitude de réticence et méfiance que la Très illustre administration (Muy ilustre administración, MIA) de l'Hôpital de la Santa Cruz maintint à l'égard de la photographie.
La personalité médicale la plus importante en la matière fut celle du docteur Joan Giné i Partagàs (1836-19O3), professeur d'Université de Pathologie chirurgicale de la Faculté de Médecine de Barcelone, qui se trouvait à l'époque dans l'Hôpital de la Santa Cruz. Le Dr. Giné avait été l'élève du Pere Felip Monlau, médecin hygiéniste catalan qui collabora de manière décisive à l'introduction de la Photographie dans notre pays. Gràce à sa médiation, le 10 novembre 1839 fut prise la première photographie à Barcelone, primière aussi de tout le pays. Giné fut un pionnier dans les spécialités de Psychiatrie et Dermatologie. Alors qu'il était directeur de l'Asile d'aliénés de Nueva Belén, il essaya de poursuivre les expériences du docteur Hugh Diamond qui vers 185O, réalisait des photographies pour étudier l'évolution de ses malades mentaux. Le docteur Daimond fut un photographe accompli, membre fondateur de la Royal Photography Society et spécialiste en natures mortes. Malhereusement on ne conserve aucune photographie des patients de Nueva Belén.
Le 26 d'octobre 1874, le docteur Joan Giné demanda à la M.I.A., par l'íntermédiaire de doyen de la Faculté de Médicine, Francisco de Paula Folch, l'autorisation pour prendre des photographies des malades de l'Hôpital afin d'illustrer les cours donnés aux étudiants de sa Chaire. La lettre fut envoyée à la M.I.A. en date de 28 octobre 1874; Giné y souligne d'abord la valeur pédagogique des arts picturaux pour l'instruction des étudiants en médecine et explique ensuite que la photographie en possède de plus grandes, si on la combine avec la peinture. L'introduction de la photographie, en principe, n'occasionerait a l'Hôpital aucune dépense additionelle puisque deux proffesseurs de cet art se sont offerts pour acomplir ce service sans aspirer à émolument ou rétribution quelconde, en ne demandant simplement que l' autorisation pour développer leur instruction. Après quelques considerations autour de l'innocuité de la photographie, il termine en remarquant : A la suite de ces éclaircissements, on peut espérer que la M.I.A de l'H‹pital de la Santa Cruz ne trouvera pas d'inconvenients pour accorder l'autorisation demandée, et que l'enseignement de cette matière comptera sur de puissants moyens de diffusion dont on ne peut cacher l'ímportance à personne. La M.I.A. demanda des renseignements au corps facultatif de l'Hôpital de la Santa Cruz et celui-ci répondit en rappelant que, avant juillet 1874, le docteur Joan Soler avait demandé l'autorisation de photographier des malades dont les affections, reporteés sur le papier au moyen de la photographie, donneraient plus d'importance à l'etablissement; elles pourraient ⁄tre de grand profit pour l'enseignement de la Syphillographie et même si rement un modèle utile pour une jeunesse crédule qui, entranée par le courant de certaines passions, se précipite dans le vice répugnant de la prostitution. Etant donné que le photographe était un étudiant en fin d'études, jeune homme de brillantes qualités et de connaissances photographiques peu communes. Le corps facultatif répondit donc affirmativement mais, de plus il ose demander à Votre illustrissime la nomination d'un photographe et d'un modeleur comme employés officiels de l'établissement et tout ce qu'ils pourront utiliser pour toute sortes de maladies sans aucune exception. La M.I.A. finit par accepter l'idée de photographier les malades de l'Hôpital, mais elle établit une norme rigide qui obligeait à demander l'autorisation chaque fois qu'il s'agisait de photographier un cas. La preuve de cette attitude hostile de la M.I.A. envers la photographie, c'est que dans le dossier Sur la Photographie, nous avons trouvé seulement une photographie.
Tous ces faits eurent lieu cinq ans à peine après que, en 1869, les docteurs Hardy et de Montméja eurent créé le premier Service photographique hospitalier à l'Hôpital Saint Louis de Paris. Cette m⁄me année le docteur de Montméja fonda la première revue consacrée à la photographie médicale, la Revue Médico-Photographique des Hôpitaux de Paris. Peu après la photographie fut introduite progressivement dans le plus importants h‹pitaux de Paris. En 1875 les docteurs Bourneville et Régnard fondèrent un laboratoire photographique a l'Asile d'aliénés de la Salpêtière. En 1877 les deux medecins publièrent la fameuse Iconographie Photographique de la Salpêtrière. En 1878 le professeur Charcot, directeur de l'Hôpital, transforma le laboratoire en Service photographique et, en 1882, il en nomma directeur Albert Londé. Celui-ci fut pionnier dans l'utilisation du gélatino-bromure, il réalisa d innombrables photographies de neurologie et psychiatrie, pratiqua la cronophotographie, publia plusieurs travaux de photographie scientifique. En outre il s'intéressa au cinema et créa un laboratoire de radiologie.
A Barcelone les choses ne furent pas aussi brillants qu'à Paris, la photographie médicale connut une involution dont elle ne se récupérerait jamais. Le problème est réflète admirablement, et avec amertume, par Giné dans la preface de son Tratado Clínico Iconográfico de Dermatología Quirúrgica:
“L'iconographie est un auxiliaire très puissant voire indispensable quand il s'agit de transmettre des impressions nosologiques dont la plupart son visuelles... Dans mon désir de réunir également des matériaux, je me suis proposé de former une collection de clinique pour la période de 1874-1875; on a entrepris les travaux et on est parvenu à publier jusqu' 18 photographies avec leurs histoires cliniques correspondantes. Un inqualifiable veto de la part de l'administration de l'Hôpital de la Santa Cruz, que n'a pas rencontré dans l'autorité universitaire le pouvoir pour lui résister comme il convenait, a rendu mes efforts sans effet. C'est pourquoi je ne puis publier que trois photographies aujourd'hui, les seules correspondent à l'emsemble des maladies de la peau, parmi celles qui faissaient partie de la dite collection“.
Les hostiletés entre le Dr. Giné et la M.I.A. peuvent s'expliquer étant donné l'idéologie republicaine-radical du docteur Giné et le sourd affrontement qui existait entre la M.I.A. et la Faculté de Médecine, ce qui donnerait lieu à une campagne pour installer la Faculté de Médecine à nouveau siège, dont Giné fut l'un des principaux promoteurs. L'histoire, comme on le sait, se termina parl'inaguration en 19O7 de l'Hôpital Clínico de Barcelone, que Giné ne parvint pas à voir. Bien qu'il ne pratiqué lui-même la photographie, ce qui est certain, c'est que le docteur Giné, par ses cours et en dehors de l'Université, sut donner une importance fondamentale à l'iconographie photographique, Quelques-uns de ses disciples les plus brillants, comme Salvador Cardenal, Lluis Barraquer, J. A. Barraquer, ou César Comas furent d' excellents connaisseurs de la photographie médicale. Le docteur Giné appuya d'une manière décisive les activités photographiques de César Comas à la t⁄te du laboratoire de Photographie médicale de la Faculté de Médicine et il le chargea de réaliser une démonstration pratique de Rayons X, dans une conférence sur la découverte alors récente donné par le docteur Giné à Barcelone le 24 février 1896.
Le docteur Giné n'a pas le seul á utiliser la photographie médicale à Barcelone dans le dernier tiers du XIXème siècle, mais il est certain que sa contribution a été capitale. Hors de son influence directe, il fault souligner la singulière figure du docteur Jaume Ferrán i Clua (1852-1929), son oeuvre est si grande que'elle mérite un article à part.